En réalité, le droit et la jurisprudence reconnaissent la légitimité du licenciement d’un salarié malade, non pas évidemment en raison de cette maladie, mais pour d’autres motifs. Retour sur une idée reçue.
L'état de santé du salarié n'est pas, en tant que tel, un motif de rupture du contrat de travail : il ne constitue, en principe, qu'une simple cause de suspension de la prestation de travail. L'article L.1132-1 du Code du Travail dispose d’ailleurs qu’ « aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte … en raison de son origine, de son sexe, de ses mœurs, … ou en raison de son état de santé ou de son handicap ».
Cependant, si la loi interdit de licencier un salarié en raison de son état de santé ou de son handicap, (sauf inaptitude constatée par le médecin du travail), elle ne s'oppose pas au licenciement d’un salarié malade, dès lors du moins que l’arrêt de travail n’a pas une origine professionnelle (accident du travail ou maladie professionnelle). Dans ce cas, le licenciement est motivé non par l'état de santé du salarié, mais par la situation objective de l'entreprise dont le fonctionnement est perturbé par l'absence prolongée ou les absences répétées de l'intéressé. Encore faut-il toutefois démontrer que ces perturbations entraînent la nécessité pour l'employeur de procéder à son remplacement définitif (Cass. soc. 13 mars 2001 n° 1036 FS-PBR, Herbaut c/ SA Adressonord : RJS 5/01 n° 592, Bull. civ. V n° 84 ; Cass. soc. 17 octobre 2001 n° 4063 F-D, SARL Imprimerie IBP c/ Heroux ; Cass. soc. 4 février 2004 n° 306 F-D, Boudallaye c/ SA Ceres.). Encore faut-il cependant respecter la période de garantie d’emploi éventuellement prévue par la convention collective applicable. Par exemple, les deux Conventions Collectives Nationales des ouvriers des entreprises de bâtiment prévoient que le licenciement « ne peut intervenir que si l'indisponibilité totale de l'ouvrier est supérieure à 90 jours au cours de la même année civile ».
Par ailleurs, l'article 6 de la Convention 158 de l'Organisation Internationale du Travail, qui prohibe le licenciement pour une absence temporaire due à la maladie ou à un accident, ne fait pas non plus obstacle au licenciement d'un salarié dont l'absence prolongée ou les absences répétées pour maladie rendent nécessaire son remplacement définitif dans l'entreprise (Cass. soc. 3 juillet 2001 n° 3288 FS-D, Rigolle c/ SA Kautzmann).
Par exemple, en présence d’absences répétées d'un conseiller commercial, le licenciement est jugé fondé sur une cause réelle et sérieuse lorsque l'employeur justifie de la désorganisation du fonctionnement de l'entreprise et de la nécessité du remplacement définitif en raison de la nature des fonctions de l'intéressé, qui nécessite un apprentissage spécifique de la technique de vente et une formation sur le terrain rendant impossible le recours au travail intérimaire. Il était démontré en l’espèce que la perturbation ne pouvait pas être palliée par une nouvelle répartition du travail entre les salariés de l'entreprise ou par l'embauche temporaire d'un autre travailleur ou encore par le recours à du travail intérimaire compte tenu de la spécificité de la tâche accomplie par le salarié absent (Cass. Soc. 6 février 2008 n° 06-45.762 (n° 272 F-D), Dupuis c/ Sté UPC France : RJS 4/08 n° 407).
Le remplacement définitif d'un salarié absent en raison d'une maladie ou d'un accident non professionnel doit intervenir dans un délai raisonnable avant ou après le licenciement, délai que les juges du fond apprécient souverainement en tenant compte des spécificités de l'entreprise et de l'emploi concerné, ainsi que des démarches faites par l'employeur en vue d'un recrutement. Il a déjà été jugé qu’en cas d’absences répétées d'un salarié dans les 12 mois précédant le dernier arrêt de travail, le licenciement intervenu en mai avec un préavis de deux mois expirant en juillet et un remplacement définitif en septembre était justifié (Cass. soc. 22 janvier 2014 n° 12-24.023 (n° 149 F-D), K. c/ Sté Arvato communication services France).
Sur le plan éthique, le licenciement d’un salarié malade peut choquer. Cependant, il faut savoir où commence et où finit la responsabilité de l’entreprise. Évidemment, l’entreprise doit faire avec les aléas de la vie, dont la maladie d’un salarié fait partie ; mais lorsque l’arrêt de travail n’a pas d’origine professionnelle et qu’il se prolonge, il n’y a aucune raison de faire supporter à l’entreprise le maintien indéfini d’une relation de travail privée de tout contenu concret, et c’est la solidarité nationale qui doit prendre le relais.
En pratique, il ne faut pas attendre la notification du licenciement pour préparer une éventuelle rupture. Puisqu’il s’agit pour l’entreprise de démontrer la désorganisation du travail provoquée par l’absence prolongée ou répétée du salarié, il sera utile de recueillir des éléments de preuve, tels que par exemple :
Concernant le remplacement définitif, il sera utile que celui-ci intervienne quelques mois avant ou après le licenciement, dans l’entreprise du salarié absent (et non chez un sous-traitant ou dans une filiale du même groupe), et à poste et conditions de travail identiques ou similaires (sauf l’hypothèse du remplacement par glissement de poste).
Enfin, il est utile avant d’engager la procédure de licenciement d’écrire au salarié absent pour lui faire part des difficultés de l’entreprise, et lui demander s’il connaît la durée prévisible de son absence (il est plus facile de remplacer un salarié dont on prévoit l’absence pendant 6 mois que d’organiser le remplacement tous les 15 jours d’un salarié dont on ignore si et quand il reprendra le travail). Ce type de courrier favorise la prise de conscience que l’entreprise compte sur le travail de son collaborateur, et que le maintien du lien salarial implique une reprise de travail : il n’y a pas, dans une entreprise du secteur concurrentiel, de « droit à l’emploi ».