Rupture conventionnelle et salariés protégés : un process à sécuriser impérativement.
La rupture conventionnelle est un mode de rupture du contrat de travail à durée indéterminée permettant à l’employeur et au salarié de mettre fin à la relation de travail d’un commun accord. Si elle constitue aujourd’hui l’un des dispositifs les plus utilisés en raison de sa souplesse, elle prend une dimension particulièrement sensible lorsqu’elle concerne un salarié protégé. Ces salariés, investis d’un mandat représentatif, bénéficient en effet d’une protection renforcée visant à garantir leur indépendance et à éviter toute pression liée à leurs fonctions.
Son utilisation avec un salarié protégé requiert une vigilance accrue. La procédure devient plus exigeante, le consentement doit être examiné avec une attention particulière, et la moindre irrégularité peut entraîner la nullité de la rupture.
Dans cet article, nous aborderons les enjeux juridiques liés à la rupture conventionnelle des salariés protégés, les enseignements de l’arrêt du 1er octobre 2025 et les précautions indispensables pour sécuriser la procédure.
Une procédure stricte et encadrée
La rupture conventionnelle est un dispositif créé par la loi du 25 juin 2008. Elle répond à un formalisme particulièrement strict :
- utilisation d’un formulaire réglementaire,
- tenue d’un ou plusieurs entretiens,
- information claire et complète du salarié,
- délai de rétractation de 15 jours calendaires,
- homologation par la DREETS.
Lorsqu’il s’agit d’un salarié protégé, la procédure est encore plus encadrée :
- un formulaire spécifique doit impérativement être utilisé ;
- la rupture ne peut produire effet qu’après autorisation expresse de l’Inspection du travail.
Ce régime protecteur vise à garantir la liberté d’expression et de représentation des salariés, et à s’assurer qu’aucune pression n’a été exercée. Ces exigences renforcées ont pour objectif d’empêcher tout contournement des garanties associées aux mandats représentatifs. En pratique, la moindre erreur peut fragiliser l’ensemble de la rupture conventionnelle, d’où l’importance de maîtriser parfaitement les obligations applicables.
2. La décision de la Cour d'appel de Versailles
L’employeur fait valoir que la salariée, en raison de ses compétences en droit social et de son mandat prud’homal, connaissait parfaitement les règles applicables et avait laissé perdurer l’erreur relative au formulaire.
La Cour d’appel lui donne raison : elle estime que le consentement de l’employeur a été vicié du fait de la maîtrise juridique de la salariée, qui savait pertinemment que le formulaire utilisé n’était pas le bon.
Conséquence : la rupture conventionnelle produit les effets d’une démission. La salariée doit rembourser les indemnités perçues, soit 55 000 €.
Référence : CA Versailles, 1er octobre 2025, RG 23/02254.
Cette décision constitue un changement important de la jurisprudence : traditionnellement, l’erreur de
procédure commise lors d’une rupture conventionnelle profite plutôt au salarié. Ici, la Cour considère que la salariée a manqué à son devoir de loyauté en se servant de son expertise pour laisser l’employeur commettre une erreur stratégique.
Cette approche fait primer la bonne foi contractuelle, principe fondamental dans l’exécution du contrat de travail. La solution retenue vise donc à éviter des comportements opportunistes consistant à laisser persister une irrégularité dans le seul but d’en tirer ensuite un avantage financier ou juridique.
4. Sécuriser la rupture conventionnelle d'un salarié protégé.
La rupture conventionnelle d’un salarié protégé exige une méthodologie particulièrement rigoureuse. Au-delà des obligations légales, certaines étapes pratiques permettent de renforcer la solidité de la procédure et de limiter les risques de contestation. Les décisions récentes montrent que la moindre approximation, qu’elle vienne de l’employeur ou du salarié, peut avoir des conséquences importantes. Il est donc essentiel d’adopter une approche claire et structurée.
- Vérifier précisément le statut du salarié : Certains mandats sont bien connus (membre du CSE, délégué syndical, représentant de proximité), mais d’autres le sont moins : conseiller prud’homal, représentant syndical au CSE, ou encore salarié protégé "de fait" en candidature. Une vérification auprès du salarié ou via les services RH évite les erreurs d’appréciation.
- Utiliser le formulaire spécifique dédié aux salariés protégés. Ce document n’est pas une simple variante du formulaire classique : il intègre des informations propres au contrôle de l’Inspection du travail. Son utilisation est impérative. Il est recommandé de conserver toutes les versions de travail, ainsi que les échanges préalables ayant conduit à la rédaction.
- Les entretiens doivent être conduits avec une transparence totale. L’objectif est de démontrer que le consentement est libre, éclairé et réciproque. Il est utile de prévoir plusieurs rendez-vous, même si la loi n’en impose qu’un seul. La rédaction d’un compte rendu d’entretien peut également constituer une preuve de bonne foi en cas de litige.
- Une attention particulière doit être portée à la constitution du dossier de demande d’autorisation auprès de l’Inspection du travail. Plus le dossier est complet (contrat, fiches de poste, relevés de mandats, explications sur le contexte de la rupture), plus l’instruction est fluide. L’administration apprécie la cohérence et la clarté des documents.
- Enfin, il est essentiel de sécuriser la traçabilité de toutes les étapes : dates, signatures, envois, échanges de mails. En cas de contestation ultérieure, ces pièces serviront à démontrer la régularité du consentement et la loyauté du processus.
Adopter cette démarche structurée permet non seulement d’éviter les erreurs, mais aussi d’établir une relation de confiance avec le salarié protégé, garantissant une rupture conventionnelle plus sereine et juridiquement solide.
Nos DRH à temps partagé se tiennent à votre disposition pour vous accompagner dans la gestion des ruptures conventionnelles, en particulier celles concernant des salariés protégés, afin de sécuriser chaque étape de la procédure dans un contexte légal potentiellement évolutif.
En résumé, cette affaire illustre la nécessité de combiner maîtrise juridique, prudence et transparence. La rupture conventionnelle peut être un outil efficace et serein lorsqu’elle est menée dans le respect des règles, mais elle devient un terrain fortement risqué dès qu’une irrégularité apparaît, surtout lorsque le salarié bénéficie d’un statut protecteur.
